Cette communication procède d’une double position, dedans/dehors, vis-à-vis d’une coopérative d’habitants : « Hôtel du Nord ». Ce nom désigne depuis 2010 une communauté patrimoniale dont les racines remontent au milieu des années 1990, lorsqu’une historienne est nommée Conservatrice du patrimoine dans les quartiers nord de Marseille, un territoire cumulant les handicaps économiques et sociaux. De fait, Hôtel du Nord est créé sur la base du travail de longue haleine d’identification et de promotion des héritages mené par cette pionnière en lien avec des habitants. A partir de 2013, « Hôtel du Nord » a constitué notre terrain d’enquête doctorale principal.

Depuis sociétaire de la coopérative, nous proposons ici d’éclairer les activités promues par Hôtel du Nord (balades patrimoniales, offre de chambres d’hôtes, vente de produits locaux, ...) dans le but de renseigner, tout particulièrement, des questions ayant trait à la composition des acteurs impliqués, aux valeurs qui les animent et à l’ambivalence des rapports qu’ils entretiennent avec les institutions patrimoniales et touristiques établis, entre intégration et mise à distance.

Un premier temps de la communication s’intéresse donc à la genèse et au développement d’une communauté dont l’un des aspects intéressants est sa position par rapport à un événement culturel de taille : l’élection, en 2013, de Marseille au titre de « Capitale européenne de la culture ». Cet événement est en effet le révélateur d’une tension encore persistante, entre les sociétaires partisans de l’affirmation de la coopérative dans le champ établi du tourisme et du patrimoine, au risque de la normalisation, et ceux dont les craintes reposent précisément sur la dégradation d’un processus initié par et pour la base. Pour ses derniers en particulier, le terrain patrimonial, éminemment politique, est d’abord investi dans le but de faire connaître et reconnaître un territoire profondément maltraité dans les représentations sociales.

Inscrite dans un territoire marqué de l’empreinte ouvrière, la coopérative Hôtel du Nord peut être analysée en termes de club : composée d’un cercle actif d’habitants d’anciens noyaux villageois ouvriers et de bastides provençales, Hôtel du Nord se caractérise par un capital social et politique (à gauche toute) doublé d’un capital culturel tel, que le milieu est hautement réflexif ; proche des canaux de la culture universitaire. A ce titre, l’offre de découverte spécifiquement dédiée aux quartiers d’habitat social, « Terroir des cités », est révélatrice de motivations patrimonialisantes revendiquant non seulement la spécificité légitime de ces lieux, mais également des attentes d’un autre ordre, social et politique. Partant, ces balades patrimoniales, thématisées autour des mémoires du travail, de l’histoire des migrations ou de l’habitat populaire, et traversées d’emprunts sociologiques pour dévoiler les conditions matérielles d’existence d’anciens territoires ouvriers paupérisés, sont envisagées dans un deuxième temps de la communication, comme les révélateurs d’un « au-delà du patrimoine ». En effet, l’argument patrimonial est ici tuilé, voire dépassé, par la perspective critique. Ces balades alors, mêlant intérêt culturel et quête analytique, soulèvent plusieurs enjeux relatifs à la fabrique et la circulation des savoirs sociaux dans un cadre non seulement touristique et patrimonial, mais aussi civique et critique.